Galia Tapiero, le métier d’éditrice (2)

A l’occasion du 1er Festival du livre jeunesse d’Istanbul, nous avons rencontré et longuement discuté avec une autrice qui est également éditrice de la maison Kilowatt. Une interview en 3 parties qui va vous enchanter ! Deuxième partie sur le métier d’éditrice…

Vous êtes à la fois auteure et éditrice. Mais vous sentez-vous davantage auteure ou éditrice ?
Je crois que je viens juste de le dire. Éditrice, sans aucun doute. Vraiment aucun doute pour moi. C’est vraiment ça qui me passionne et c’est vraiment ça qui constitue pour moi le cœur de mon métier et de la vie.

En quoi consiste le métier d’éditeur ? Que fait une maison d’édition ?
Alors là, j’en ai vraiment pour super longtemps, si je commence. Je peux faire un petit résumé en disant que pour moi, c’est comme être un chef d’orchestre. Vous vous rendez bien compte que pour faire un livre, il faut déjà des auteurs. Il faut, quand on fait des livres pour enfants, des illustrateurs.
Il faut déjà mettre ces gens ensemble. Ça n’arrive pas comme ça. Et puis ensuite, il faut des relecteurs qui vont relire les textes, les corriger, voir s’ils tiennent bien la route. Ensuite, des graphistes, des imprimeurs. Ensuite, il y a des gens qui vont les vendre. Donc, c’est toute une chaîne: La chaîne du livre. C’est vraiment beaucoup de métiers qui se réunissent. 
Mais après, le métier d’éditeur, c’est vraiment décider ce qu’on a envie de faire comme livre réellement. Qu’est-ce qu’on a envie de raconter ? Qu’est-ce qu’on a envie de faire partager aux enfants ? Il y en a qui vont faire des romans policiers. Il y en a qui vont faire de la jeunesse. Il y en a qui vont faire de la bande dessinée. Il y en a qui vont faire des documentaires.
Donc, qu’est-ce qu’on a envie de partager avec les enfants ? C’est le chef, oui, mais en même temps, un chef qui ne peut pas travailler sans les autres. C’est vraiment le chef d’orchestre qui coordonne et organise tout. Mais un chef d’orchestre sans instrument et sans joueur d’instrument, alors ça ne ressemble plus à rien. Il n’y a plus d’orchestre. Donc voilà. On est liés intrinsèquement les uns aux autres.

Comment avez-vous eu l’idée de créer une maison d’édition ?
J’avais envie de faire des livres. C’est une chose à laquelle je pensais depuis longtemps. Et peut-être qu’avant, je n’avais pas eu le courage, parce que c’est énormément de travail de me dire qu’il faut me lancer dans cette entreprise. Parce qu’il ne s’agit pas simplement de livres, mais c’est aussi de la gestion, de la comptabilité, de l’administration. Monter une entreprise, c’est un très gros travail. Un jour, je me suis dit, ça y est, je suis prête pour être éditrice et pour monter une maison d’édition.

Ce doit être difficile de gérer une maison d’édition avec une autre personne. Vous entendez-vous bien avec Barroux ?
En fait, Barroux ne travaille pas du tout dans cette maison d’édition. Il illustre certains livres, mais il ne travaille pas du tout. Donc, il a, de manière administrative, des parts, et il a illustré des livres, mais nous ne le gérons pas, nous ne le dirigeons pas ensemble. Je suis seule à la diriger, donc ce n’est pas trop compliqué. Et en même temps, on pourrait croire comme ça que c’est simple de diriger une maison toute seule, une compagnie, ou d’avoir un projet seule. Mais en fait, parfois c’est compliqué, parce qu’on aime bien aussi pouvoir discuter, avoir l’avis de quelqu’un.
Je ne sais pas, quand vous écrivez un article, vous n’en parlez pas des fois ? Vous ne dites pas, mais est-ce qu’on met ça ? Est-ce qu’on le termine comme ça ? Tu te souviens si elle a dit un truc pareil ? Mais non, pas du tout. Bon, toi tu fais cette partie, moi je fais cette partie. C’est pas mal le collectif, c’est quand même drôlement agréable dans le travail aussi. Cette partie de la collectivité, du partage, de l’échange, d’avoir l’avis et la réflexion des camarades. Donc moi en fait, c’est facile, parce que je n’ai pas à partager les décisions, et en même temps c’est difficile, parce que je trouve ça intéressant, parfois aussi, de pouvoir les partager.
Voilà, il y a les deux. Oui, je peux partager avec des auteurs et des illustrateurs, mais ça ne les intéresse pas vraiment, ce n’est pas leur société. On peut partager sur leur travail, bien sûr. Je vais leur dire, moi je voudrais plutôt des illustrations comme ça, le texte il faudrait l’écrire dans telle direction, il faudrait que ce soit plus long, attention au dernier chapitre, attention à la fin. Oui, sur leur manque de temps, il faut que ça soit plus long, dernier chapitre, attention à la fin. Oui, sur leur morceau de travail, mais sur la maison en général, je n’échange pas avec eux. Alors, encore une fois, écrire n’est pas mon métier principal. Je ne fais même pas un livre par an. Vous voyez, je n’ai pas un rituel d’écriture, parce que mon métier principal, c’est vraiment de mener une maison d’édition. Mais par rapport à l’écriture, je n’écris jamais à la main. 

Être éditeur, est-ce un métier où on peut bien gagner notre vie ?
Je ne crois pas. C’est possible. Je suis persuadée que les maisons des très gros groupes, les dirigeants des maisons des très gros groupes gagnent bien leur vie. Mais ce sont des maisons qui existent depuis des dizaines et des dizaines d’années, qui ont été construites sur des générations et des générations, et puis il y a quelques dirigeants qui gagnent bien leur vie.
Mais si on prend l’ensemble du monde de l’édition, je dirais qu’il y a vraiment très  peu de gens qui gagnent bien leur vie. Après, gagner bien sa vie, c’est quand même très relatif. Qu’est-ce que ça veut dire, gagner bien sa vie ?Être bien financièrement ? Est-ce que je peux payer mon loyer ? Manger, bien manger. Ou est-ce que ça veut dire aller au Bahamas en jet privé ? Ou est-ce que ça veut dire vivre à cinq dans une toute petite pièce, tous ensemble ? Je dis cinq parce que j’ai trois enfants et je suis avec mon mari. Tout ça est très relatif. Et puis après, ça dépend aussi du plaisir et de la liberté que vous offre le métier que vous faites. Et ça aussi, pour moi, c’est très important. Ça me donne beaucoup de plaisir, mais aussi beaucoup de liberté, la possibilité de rencontrer des gens.
De venir à Istanbul et d’être en train de discuter avec vous, c’est grâce à ce métier-là. Et pour moi, ça, c’est extrêmement important. Et ça vaut la peine que je gagne moins d’argent et que je me lève tous les matins très contente de faire ce métier plutôt que de m’ennuyer et de faire quelque chose qui est déprimant. En même temps, j’ai évidemment besoin de payer un loyer, de manger et de financer des études pour mes enfants, etc. Et je ne suis pas seule. On est deux.

A suivre…

Interview, transcription de l’enregistrement audio et article par
Mahamat Mbodou Mai, Cinar Aydin, Evan Küçük et Elias Sassine


Petite biographie de Galia Tapiero :

Auteure jeunesse, Galia Tapiero a toujours eu une passion pour les dictionnaires, les encyclopédies, les documentaires, les objets qui racontent des histoires et les voyages qui font rêver. En 2009, elle se lance dans l’aventure et crée Kilowatt éditions avec Barroux. Ensemble, ils veulent faire de beaux livres qui ont du sens. Cliquez sur les couvertures pour avoir une idée de ses livres

Présentation de sa maison d’édition :

Maison d’édition fondée en 2009 en France, Kilowatt a pour motivation et ambition de faire de beaux livres qui ont du sens. Elle publie des documentaires et des albums destinés à la jeunesse. Des livres qui se prêtent, se partagent, s’échangent et se transportent en tout lieu et toute compagnie. Des mots et des images pour aimer lire, pour rêver et découvrir le monde qui nous entoure. Nous souhaitons proposer des textes et des illustrations dans une juste complémentarité. Aussi nous créons des albums, des documentaires innovants et exigeants,  des livres d’éveils et des livres de poche avec l’envie de partager le plaisir de vivre ensemble.

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