Ma vie proustienne

J’arrive à l’école, épuisée et triste, triste de recommencer une journée aussi vide et difficile que la précédente. Il est 7:40, il fait noir et froid. Je tremble légèrement. Je rentre dans le hall en essayant d’ignorer les couples d’yeux assis sur les sièges qui me contemplent, je ne sais pourquoi. Peut-être est-ce ma solitude qui me joue des tours ? Non, ces yeux sont bien là. Je m’assieds sur un des fauteuils proches du couloir du bloc D. Je sors mon petit livre de Proust, mon premier Proust, mon livre qui m’aide à ignorer ces yeux et rend ma vie de paria plus agréable. Et ainsi, je me retrouve en train de respirer, en train de sentir, et je laisse mon âme endolorie se débarrasser de ses douleurs pour quelque temps. Après quinze courtes minutes, j’entends la sonnerie. A tout à l’heure, Marcel. Heureusement, la journée commence avec deux bonnes heures d’allemand. Je marche vers le bloc H. Arrivée devant la salle H7, je regarde autour de moi, les autres discutent, rigolent, ils ont l’air d’être contents. Alors je ressors mon Proust, au moins je ne resterai pas là à contempler le vide. Enfin, la professeure arrive ! Quel soulagement ! Rentrons en classe ! Alors… 

« Mme Lawrence sortit pour aller mettre son manteau. »
« Le prétérit de ‘sein’? Ich war, du warst, er war… »
« Aussi, quand le samedi à huit heures et quart, Lepré entra dans le salon de Madeleine… »
« Letzten Jahr? Non non. C’est ‘das Jahr’ donc c’est letztes Jahr. »

Ainsi, je continue à lire mon Proust, et en même temps, je suis le cours d’allemand. De temps en temps, je lance un regard inquiet à ma prof mais tout semble bien se passer, donc je souris dans mon coin avec une forte reconnaissance. Je sais que Mme Houdaer adore Marcel Proust aussi ; ça me fait du bien de penser à ça et de savoir que je ne suis pas la seule personne qui trouve du plaisir à lire ces livres. « Elle lit Proust, et je ne vais quand même pas lui interdire de lire Proust. » me dit-elle. Enfin, ce que je ressens pendant les cours d’allemand, à mon avis, est un mélange de gratitude et de refuge, de tendresse et de sensibilité partagée, lointaine peut-être, mais chaleureuse et connectée.

Marcel Proust enfant, par Ece Seçen. DR.

Pour revenir à Proust, je ressens dans ses phrases, son âme, avec laquelle je me sens des affinités, une âme à laquelle je peux parler librement et des phrases qui me guident comme une lumière blanche au bout d’un couloir ténébreux. Un ami dans la solitude, un bouclier dans la tempête de flèches, je me retrouve réfugiée dans la littérature, dans Proust, dans ses pensées à lui, ses pensées qui s’alignent toujours avec les miennes. 

Pour moi, qui me suis toujours réfugiée dans un monde à part du nôtre, qui me suis toujours fait des amis imaginaires, Proust est maintenant un frère, une âme-sœur, un miroir qui reflète mon intérieur et qui aidera les autres à me comprendre peut être un jour, car mes écrits sont et seront largement inspirés de lui.

Voici un article écrit par une enfant de treize ans qui a trouvé sa place aux côtés de tous les écrivains, poètes, romanciers, lecteurs et tous les amoureux des lettres, que ce soit en français, en turc, en anglais, en allemand ou en une langue qui m’est complètement inconnue ; je vous salue et vous remercie profondément.

En dernier, je voudrais rendre hommage à monsieur Marcel Proust, dont nous avons célébré le centenaire de la mort, le vendredi 18 novembre 2022. Cet article est écrit pour vous, pour exprimer ma gratitude.

Article et illustration de couverture par Ece Seçen, 2022

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