L’équipe de rédacteurs de Loti News a eu l’opportunité de rencontrer l’Ambassadeur de France en Turquie, M. Hervé Magro, de passage dans notre établissement le vendredi 12 novembre 2021. Nous le remercions infiniment pour son attention et le temps qu’il a consacré à répondre à nos questions, ainsi que pour sa bienveillance.
Nous publions cet entretien en trois parties. Dans cette deuxième partie, l’Ambassadeur nous parle de la diplomatie et de son métier au quotidien.
La rédaction de Loti News
Le métier d’Ambassadeur
Est-ce que vous pourriez très rapidement nous décrire ce qu’est la diplomatie et à quoi cela sert ?
S.E. l’Ambassadeur Hervé Magro : C’est une bonne question parce que le métier a beaucoup évolué. Je suis un peu envieux de mes prédécesseurs aux siècles précédents : il faut imaginer qu’autrefois l’Ambassadeur, ici, recevait des instructions qui mettaient déjà deux ou trois mois avant d’arriver, et puis ensuite, pendant deux ou trois mois, rien ne se passait. Il renvoyait un rapport à Paris qui mettait deux ou trois mois pour arriver à Paris, puis ensuite on lui renvoyait des instructions qui mettaient deux ou trois mois s’il n’y avait pas de problèmes, si la lettre ne tombait pas dans la mer ou si le messager n’était pas intercepté dans les Balkans. L’Ambassadeur était donc vraiment le représentant à 100 % de l’État français. D’ailleurs, parfois, les sultans emmenaient même les Ambassadeurs dans leurs campagnes militaires.


A l’époque, l’Ambassadeur jouait sans doute un rôle différent dans le sens où il n’y avait pas cette relation avec la population locale qui, aujourd’hui, est très importante pour nous. Le métier, de nos jours, est beaucoup plus un métier de contact et de communication qu’un métier uniquement politique. Cela reste toutefois un métier politique, c’est à dire, expliquer la position de la France aux autorités locales, quel que soit le pays dans lequel on est, et d’un autre côté, expliquer à notre capitale, à Paris, la situation locale, quelle est l’évolution de la société, de la culture, etc. C’est le métier, je dirais, classique. Mais, un autre aspect s’est développé de plus en plus : le contact et l’interaction avec la société, avec les turcs, mais aussi, celui que nous avons aujourd’hui, avec une communauté française qui s’est beaucoup développée dans le monde. Toute cette partie est devenue un élément déterminant dans notre travail.
Aujourd’hui, une contrainte supplémentaire s’est ajoutée : le développement des moyens de communication et des réseaux sociaux. Pourquoi est-ce que j’appelle cela une contrainte ? Parce que cela change complètement notre travail. Le développement des moyens de communication signifie que j’ai désormais mon bureau sur mon téléphone, et que je suis donc 24 heures sur 24 -ce qui n’est pas simple-, en contact direct avec Paris ou avec mes homologues turcs, etc. Et donc, cela veut dire qu’à n’importe quel moment de la journée, de la nuit, on peut me contacter. Là aussi, c’est une grosse différence parce qu’autrefois -il n’y a pas si longtemps que ça-, quand il y avait une information qui sortait, on faisait un rapport à Paris et puis, le lendemain matin, les gens lisaient le rapport et vous renvoyaient des instructions. Cela se faisait dans la journée, mais, aujourd’hui, avec ces smartphones et autres outils de communication, si quelqu’un a une question à Paris à 22h -il est minuit ici avec deux heures de décalage-, il faut répondre tout de suite.
Ceci pose beaucoup de problèmes aussi vis-à-vis de mes propres collaborateurs et collaboratrices puisqu’il faut alors se demander à soi-même s’il faut poser leur la question à minuit ou à 1h du matin. C’est un vrai sujet. Par ailleurs, les réseaux sociaux font qu’aujourd’hui nos chefs d’états, nos dirigeants, s’envoient des messages -pas toujours agréables- directement : vous avez un Tweet qui part de Paris, une réponse instantanée d’Ankara ou le contraire, un Tweet d’Ankara, une réponse de Paris, sans même que vous ayez le temps de l’attraper au vol et d’expliquer pourquoi il y a eu cette déclaration parce qu’immédiatement cela entraîne des conséquences. Le métier de diplomate aujourd’hui c’est aussi ensuite de travailler pour remonter le courant quand ce sont des choses plutôt désagréables, en se disant qu’un Tweet demain peut remettre en question tout le travail que vous avez fait pendant plusieurs mois.
Donc, tout ceci a quand même beaucoup changé notre travail, ce qui signifie qu’il faut être très attentifs, très réactifs, et très actifs aussi dans toute la partie communication. C’est un vrai changement par rapport au métier tel qu’on le pratiquait précédemment.


En pratique, que faites-vous durant vos journées d’Ambassadeur ?
S.E. l’Ambassadeur Hervé Magro : C’est également une bonne question parce que l’image des Ambassadeurs ne correspond pas forcément à la réalité. Je commence souvent à répondre à cette question en disant : « Le matin, je me lève vers dix heures ; je prends mon petit déjeuner ; ensuite, je vais faire un petit tennis avec mon collègue ; ensuite -c’est quand même fatigant le tennis-, je vais prendre ma douche et je vais déjeuner ; puis ensuite, je fais une sieste car je suis très fatigué de mon match de tennis ; et ensuite, à cinq heures du soir, je vais à la réception avant le prochain dîner. » Bon, je dis ça car c’est un peu la caricature du métier aujourd’hui. Il y a sans doute eu une autre époque où on avait un peu plus de temps pour faire un peu plus d’autres choses mais évidemment, aujourd’hui, du matin jusqu’au soir, par exemple mon programme à Istanbul c’est :
Petit déjeuner avec la presse française pour expliquer la situation, la position française, la position turque, les dernières crises qui ont pu avoir lieu ; ensuite, deux trois rendez-vous avec des gens qui souhaitent me voir ou que je souhaite voir sur des questions économiques, des questions culturelles, des projets culturels que nous voulons monter, des projets de vente d’avions, de trains, etc. ; puis ensuite, un déjeuner de travail avec une grande entreprise ou dans le domaine culturel, des contacts avec le proviseur du lycée ou le directeur de l’école à Beyoğlu parce qu’on a des sujets à voir ensemble ; et puis, le soir, un vernissage parce qu’il y a un grand artiste franco-turc qui expose, suivi d’un dîner organisé par la chambre de commerce, voilà.
Tout cet aspect social qu’on voit dans la publicité -pour ceux qui connaissent un peu la publicité Ferrero avec l’Ambassadeur qui sert des Ferrero dans une belle réception-, oui ça existe, mais il faut bien voir que ces réceptions sont aussi une partie du travail ; et pour mes collègues ici, comme moi, avoir des réceptions tous les jours, des dîners tous les jours, c’est sympathique quand on le voit de l’extérieur mais c’est un vrai travail -je ne dirais pas que c’est une corvée parce qu’il ne faut quand même pas exagérer, ce n’est pas si désagréable que ça- mais c’est un vrai travail et une vraie action car, parfois, dans les réceptions, on rencontre des gens qu’on ne voit pas par ailleurs et, en cinq minutes, on arrive à avoir une réponse à une question qu’on se posait et qu’on arrivait pas à avoir. Donc, c’est vraiment un métier à 100 %. On est à 100 %, 24 heures sur 24, atteignable à cause de ces nouveaux systèmes de communication, smartphones et autres. C’est aussi un métier où -surtout dans un grand pays comme la Turquie- on est mobilisé 24 heures sur 24 car on a beaucoup de choses à traiter et un Ambassadeur traite des questions culturelles jusqu’aux questions économiques en passant par les questions politiques. C’est un travail complet et sans doute plus que ce n’était dans le passé où, encore une fois, comme je le disais tout à l’heure, c’était beaucoup plus l’aspect politique qui était pris en compte. Aujourd’hui, on nous demande de suivre l’ensemble des questions, et la Turquie est un pays particulièrement intéressant pour cela parce que nous avons une telle relation historique avec la Turquie que nous avons, sur tous les plans, beaucoup de choses en commun et beaucoup de projets de coopération.

Entretien transcrit par Defne Aren, 4B