
CHAPITRE 4
Nous nous regardâmes dans les yeux pendant quelques minutes, le temps qu’ils le mettent dans le camion de secours. C’était bizarre mais lorsque nous nous sommes regardés, mon cœur battit la chamade et j’eus la sensation que celui-ci allait sortir de ma poitrine. C’était le coup de foudre. En l’observant, je me rendis compte que oui, c’était bien Arthur Parker, le héros de la BD de mon père. Mais si cet homme était Arthur Parker, alors ça voulait dire que j’étais entrée dans la bande-dessinée ! Je n’eus même pas le temps d’y réfléchir que la phrase « A suivre » en fluo apparut devant moi alors je m’exclamai :
« C’est quoi ça ? C’est quoi ça encore ?! »
Puis, soudain, sans même que je ne le ressente, je revins dans le bureau de mon père. Je m’étais comme téléportée. J’étais sous le choc et je n’arrivais pas à croire à ce qui venait de se passer. En plus, je n’avais pas récupéré ma carte d’identité que j’avais laissée dans les mains du gérant. Aussitôt, Su-Bong arriva dans le bureau et me demanda :
« Qu’est-ce que tu fais Elsy ?
Je répondis en m’écriant :
– Oh mon dieu ! Tu m’as fait peur !
– Pourquoi tu as l’air si tendue ?
– Qu’est ce qui m’est arrivé ?
– Comment ça ?
– J’ai disparu un long moment ?
– Tu as disparu ? Quand ?
– J’étais dans la pièce toute seule quand tu es sorti appeler la police.
– Elsy, je n’ai pas appelé la police. M. Hamiyeh est bien portant !
– Quoi ?
– Il a rendu le chapitre à temps ! Je ne sais pas d’où il l’a envoyé mais il vient de le faire et il a aussi sauvé Arthur ! Tu avais raison, il est sorti prendre l’air parce qu’il hésitait à le tuer. Il l’a envoyé, viens, je vais te le montrer.
– Où est-il ?
– Il n’a pas appelé mais il ne tardera pas puisqu’il a fini. Allez viens ! Bon sang, allez ! »
Je m’avançai doucement vers l’ordinateur de la maison. J’allumai ce dernier et j’ouvris le site de la BD pour pouvoir voir la suite. Dans les scènes de ce chapitre, on voyait tout d’abord le tueur poignarder Arthur qui tombait à terre par manque de force puis, soudainement, une femme me ressemblant, apparut et le sauva.
Non seulement elle me ressemblait, mais elle avait aussi le même nom que moi. Tous les dessins correspondaient parfaitement à ce que j’avais vécu un peu avant. Je compris immédiatement que cette femme qui sauvait Arthur dans la BD, c’était moi. Il n’y avait aucun doute ! J’étais apeurée ! Pourquoi cela m’arrivait-il ? Pourquoi moi ? Je terminai de regarder les scènes et je me murmurai :
« C’est din-gue… »
Puis Su-Bong s’écria :
« Il a ajouté un nouveau personnage féminin ! Elle s’appelle comme toi.
– C’est din-gue… »
Mais ce qui était encore plus dingue, c’était que l’histoire continuait toute seule : l’hôpital avait déclaré qu’Arthur Parker avait subi deux opérations et qu’il était maintenant dans un état stable. Énormément de personnes inquiètes étaient massées devant l’hôpital. La police recherchait son agresseur mais elle n’avait pas encore de piste sérieuse. Selon le gérant de l’hôtel, le seul témoin affirmait être étudiante mais son identité restait à confirmer. Soudain, l’assistante et meilleure amie d’Arthur, nommée Sarah, rentra dans la chambre d’hôpital et Arthur demanda :
« Vous l’avez trouvée ?
Sarah répondit :
– Non. Ils ont fouillé toute la zone, sans résultat. Elle n’était sur aucune des caméras de surveillance.
– Aucune ?
– Non. Cette femme est un peu étrange, elle a dit au gérant qu’elle ferait une déposition. Elle est partie avant que la police n’arrive. Elle dit être étudiante à l’université Mayonsey.
– C’est où ?
– Il n’y a pas d’université de ce nom au Liban ni autre part dans le monde alors elle a menti en se disant étudiante. Regarde, elle a laissé sa carte d’identité au gérant.
« Etudiante en architecture à l’université Mayonsey : Elsy Hamiyeh »
– Mais le numéro de téléphone et l’adresse électronique sont des faux. La police suspecte cette femme d’être complice.
– Je ne pense pas.
– Comment tu le sais ? tu ne te souviens de rien.
– Mon instinct. En tout cas, on doit la retrouver. Je pense que cette femme détient la clé de ma vie.
Son garde du corps nommé Hadi, qui était assis sur le canapé au coin de la chambre, était lui-même étonné. Depuis quand Arthur parlait-il si poétiquement ? Alors Sarah rétorqua d’un ton étonné :
– La clé de ta vie ?
Arthur répondit :
– Oui.
– C’est trop théâtral, ça m’énerve.
– Trouve-la.
– Ils font un portrait-robot. D’après les ambulanciers, elle est très jolie.
– Non, elle n’est pas belle.
– Ils ont dit que si.
– Si c’est ça être beau, un chien galeux le serait aussi.
– Et c’est la clé de ta vie ?
– Je n’ai pas dit ça pour son apparence.
– J’ai cru que tu avais eu le coup de foudre.
– Peut-être.
– Et comment une femme que tu viens de rencontrer serait la clé de ta vie ?
– Le sens de mon existence, je crois qu’elle m’apprendra pourquoi je suis sur terre. Ça te convient ?
– C’est frustrant. Moi aussi je peux te dire pourquoi tu es sur cette terre ! Écoute, c’est simple. Tes parents se sont aimés puis un spermatozoïde et un ovule…
– Réserve ces discours pour quand on est seuls.
– Entendu. Bien, monsieur. Je vais répéter tes paroles à la police. La femme qui détient la clé de ta vie n’est pas belle du tout.
Ensuite, Sarah sortit de la pièce agacée. La seule chose que j’avais retenue de cette scène était qu’Arthur me trouvait moche. Mais comment un personnage de BD osait-il critiquer mon physique ? Bref, lorsque Sarah sortit, Parker dit :
– Elle s’est encore énervée ?
Hadi répondit :
– La clé de ta vie, c’est un peu ronflant, elle doit être très belle.
– J’ai dit qu’elle n’était pas belle.
– Oui bien sûr…
– C’est vrai !
Puis en regardant ma carte d’identité, il dit : « Elsy, où es-tu en ce moment ? »
J’étais tout simplement abasourdie lorsque j’avais vu tout cela ! J’appelai Su-Bong qui était de l’autre côté de la pièce et je lui dis d’un ton tremblant :
– Su-Bong ! Tu as lu ? Arthur Parker me cherche. C’est absurde ! il me cherche !
– Oui, oui, bien sûr qu’il te cherche…
– Je te jure ! Il a ma carte d’identité et il veut me retrouver ! C’est la carte que j’ai donnée au gérant de l’hôtel ! C’est une vraie carte à moi !
– Je trouve aussi que l’intrigue prend une tournure bizarre. Il se concentre trop sur ce nouveau personnage. Où est-ce qu’il dessine ? On n’arrive toujours pas à le joindre.
– Mon père ne dessine pas.
– C’est qui alors ?
– Ça continue tout seul depuis qu’Arthur a survécu. Ecoute, il était censé mourir mais il a survécu et maintenant l’histoire continue toute seule !
– Mais qu’est-ce que tu racontes ?
– Tu ne comprends pas ce que je te dis ? Je sais, moi aussi je ne comprends pas, j’ai l’air d’une folle ! Arthur est vivant et il me cherche ! Il y a un autre monde, celui de la BD ! C’est là que vit le vrai Arthur Parker !
– Elsy, calme-toi, je ne comprends pas ce que…
– Je sais que c’est ça !
– Bon, écoute Elsy, on se parle après, là j’ai du travail.
– Bon sang.
A ce moment-là, la seule chose à laquelle je pensais était : « Pourquoi Arthur me cherchait et pourquoi je serais la clé de sa vie ? » Puis soudain, une pensée me vint à l’esprit alors je m’écriai :
– Su-Bong ! Je pense…
Et directement Su-Bong me coupa la parole en répondant :
– Pourquoi tu penses autant ? Arrête de penser maintenant.
– Papa ne s’est pas enfui de chez lui ! Il s’est fait kidnapper.
– Par qui ?
– Papa dessinait cette nuit-là et il a été entraîné dans la BD exactement comme moi ! Il est sûrement encore coincé dedans !
– S’il te plait Elsy, arrête ça. Comment M. Hamiyeh peut-il avoir été entraîné dans une BD ? C’est ridicule.
– Tu as dit que tu ne comprenais pas comment papa était sorti de la pièce ?
– Mais de là à dire qu’il a été entraîné dans une BD… C’est totalement absurde ! On a tout dessiné, j’ai dessiné tous les arrière-plans de mes propres mains. Ce ne sont que des dessins, qu’est-ce qu’il peut y vivre ? Et je sais qui les a dessinés ! Tu crois que je ne sais pas reconnaître le trait de ton père ? Les arrière-plans, je m’en charge mais les personnages c’est lui ! Même si on essaie de les dessiner le résultat sera bien différent ! Je le connais mieux que toi !
– Mais Su-Bong…
– M. Hamiyeh ?
A ce moment-là, mon père rentra à la maison. Il avait l’air assez amaigri et ne voulait pas trop parler. Sans même dire bonjour, il entra dans son bureau pour travailler. Puis Su-Bong me dit :
– Je te l’ai dit, arrête de te faire des films.
Je rétorquai :
– Mais où était-il tout ce temps-là ?
– Bah je ne sais pas moi. »
Pendant que Su-Bong continuait de travailler, je décidai d’entrer dans le bureau de mon père pour lui parler en privé. Il était assis sur sa chaise et ne travaillait même pas, il était juste plongé dans ses pensées alors je dis :
« Papa ? Je suis là.
Il se tourna et me répondit :
– Tiens, bonjour Elsy.
– Qu’est-ce qui s’est passé ? J’étais inquiète ! Où étais-tu et pourquoi tu étais injoignable ?
– Je suis allé faire un tour.
– Tu es allé où ?
– Ici et là. Et toi ? Tu vas bien ? Tu n’es pas blessée ?
Je ne voulais rien lui dire à propos de ma tentative de suicide alors je répondis :
– Blessée ? Je ne suis pas blessée. Pourquoi tu demandes ça ?
– Pour rien, tant que tu vas bien.
– Au fait papa, à propos de « W : La vie tragique d’Arthur » …
– Oui ! Su-Bong m’en a parlé. Il paraît que tu tenais des propos étranges. J’ai dû inventer un nouveau personnage féminin, je n’arrivais pas à trouver un physique convenable alors j’en ai créé un à ton image, c’était plus simple ainsi. Ça te semble bizarre ?
– Tu as vraiment dessiné ça ? Les deux derniers chapitres, tu les as vraiment dessinés ?
Et il me répondit d’un ton stressé et hésitant :
– Qui d’autre les aurait dessinés ?
– En fait…
– Ce serait qui, si ce n’était pas moi ? Qu’est-ce que tu insinues ?
– Rien, rien.
– Tu n’es pas censée être à l’université ? Tu devrais y aller.
– D’accord.
– Je dois me remettre au travail.
– Tu devrais te reposer un peu.
– J’en ai assez, je veux finir le plus vite et me reposer. On se verra quand je me sentirai mieux.
– D’accord, j’y vais. »
Basmala Al Kabra, Azra Sayilir et Joelle Sevik, 4A