Nico Daswani, auteur : une rencontre passionnante ! (2)

A l’occasion du 1er Festival du livre jeunesse d’Istanbul, nous avons rencontré l’auteur de “Markine et la porte secrète” et avons longuement discuté avec lui. Une interview en 3 parties qui va vous enchanter ! Deuxième partie sur les livres jeunesse, le métier d’écrivain et les influences littéraires…

Quelles sont les qualités requises pour un livre jeunesse ?
Oui, ça c’est très intéressant. Tu sais, en France, la littérature jeunesse n’est pas vraiment considérée comme de la littérature. En France, la littérature, c’est ce qu’on pense être réservé aux adultes. Il faut que ça soit stimulant de manière intellectuelle. Il faut qu’il y ait un certain niveau de maîtrise du vocabulaire, pas mal d’images et de métaphores pour être considéré comme quelque chose de littéraire.
En ce qui concerne les livres pour les enfants, je dirais que les gens pensent qu’on peut donner des histoires qui n’ont pas besoin d’être travaillées. Pour moi, ce n’est pas vrai car je respecte mes lecteurs et lectrices, quel que soit leur âge.
Je ne peux pas généraliser, mais pour moi, un livre enfant doit donner envie à la personne qui lit, de ne jamais s’arrêter. C’est-à-dire que tu arrêtes parce que tes yeux se ferment, parce que tu dois dormir, parce que tu es fatigué. Pas parce que tu te dis, bon, c’est un peu lourd. Pour moi, un livre d’enfant doit être écrit pour le lecteur. Il y a beaucoup d’auteurs qui écrivent pour eux-mêmes, qui vont peut-être faire un chapitre qui va durer 50 pages, parce que ça les intéresse de s’exprimer, mais c’est peut-être pas super intéressant pour le lecteur ou la lectrice. Pour moi, c’est l’inverse. Je veux que le lecteur ou la lectrice soient engagés, soient intéressés et aient envie de tourner la page jusqu’à ce  qu’on leur dise :
“Non, il faut que tu ailles te coucher maintenant.
– Non, non, maman, encore une page. -Non”. 
Moi, c’est ça que je veux imaginer entendre. Et c’est une autre philosophie quand on écrit, en fait. Parce que quand on écrit comme ça, on imagine constamment… Moi, j’imagine constamment le jeune lecteur ou la jeune lectrice en train de lire.
“Est-ce que ça va les intéresser ? Est-ce que ça va les faire rire ? Est-ce que ça va…“
Alors que quand tu écris vraiment pour communiquer quelque chose pour toi, tu ne penses pas forcément au lecteur et à la lectrice. Donc, c’est une autre façon de faire.
Dans mon livre, les descriptions sont à moitié terminées et ce que je veux dire par là, c’est que je vous fais confiance, je fais confiance au lecteur et aux lectrices de pouvoir finir la description avec votre imagination. C’est pour ça que si un jour vous êtes amené à lire mon livre, vous verrez que je ne passe pas trop de temps dans des descriptions très détaillées parce que je veux donner aux lecteurs et lectrices la capacité d’imaginer, je vous donne assez d’éléments pour que vous imaginiez l’histoire et que vous puissiez vraiment créer votre monde sans que je vous le prescrive.
Parfois, des auteurs aiment prescrire leur réalité et vous dire exactement ce qu’ils pensent et ce que vous devez penser. Je ne veux pas faire ça. Je veux pouvoir vous amener dans un monde et je vous fais confiance, je fais confiance aux lecteurs.

Pour vous, est-ce qu’un livre jeunesse, serait mieux s’il est imaginaire ou réel ?
Alors, ça c’est une question très, très intéressante et c’est à vous que je la pose. Qu’est-ce que vous pensez ? Qu’est-ce qui est mieux ?

Ça dépend parce que les livres réels sont basés soit sur des faits réels soit sur quelque chose qu’on a pensé, écrit, mais les histoires imaginaires ne sont pas faites avec des faits réels.
En fait, je pense que tous les livres de jeunesse, même quand ils sont réels, contiennent un peu d’imagination aussi. C’est un mélange. On ne peut pas forcément dire que c’est réel. Il y aura toujours une touche d’alchimie. Quand c’est réel, ça va peut-être parler de ce qui se passe dehors, le réchauffement climatique par exemple.

Et quand c’est imaginaire et qu’on veut aborder un peu de réel, on va parler du réchauffement climatique, mais avec des tempêtes de sable qui s’abattent partout. Donc un thème qui est d’actualité, mais peut-être avec une manière imagée de le faire comprendre.
Oui. Je voulais vous renvoyer la question parce que c’est vous qui savez mieux ce que le roman contient. J’ai été inspiré par une forme de littérature qui vient d’Amérique du Sud qui s’appelle le réalisme magique. C’est la vie de tous les jours, mais il y a un élément magique. Par exemple, Harry Potter, se passe dans un monde fantastique même s’il y a aussi un côté réel, parce qu’il a une famille avant d’aller prendre le train. Donc, il y a un peu un mélange entre le réel et l’imaginaire. Mais on rentre dans un monde imaginaire, on rentre dans un monde fantastique.
Dans la tradition du réalisme magique, qui est originaire d’Amérique du Sud, il y a cette idée que c’est la vie de tous les jours. Donc, c’est des problèmes qu’on comprend. C’est l’école comme on la connaît, c’est les parents comme on les connaît et il y a un élément qui est magique.
C’est ce qui se passe dans mon livre. Il y a un élément qui est magique, la relation entre Marquine et cet arbre. La difficulté de Marquine va être de traduire cette magie et cette relation, ce désir de protéger cet arbre, dans un monde hyper réel justement, où les adultes n’ont pas d’imagination et ne connaissent pas le fantastique. Et moi, c’est quelque chose qui m’intéresse. Mais chaque auteur, évidemment, fait différemment.

Être écrivain, est-ce que c’est un métier pour vous ?
Alors, c’est un métier d’être écrivain? Pour moi, ça ne l’est pas encore. J’aimerais un jour… Alors je travaille dans la culture, je travaille aussi avec des écrivains, donc je suis dans ce milieu-là, où je produis. En fait, je suis du côté de la production, de produire des festivals et des films, des concerts et des tournées, etc.
Écrivain, c’est un magnifique métier, évidemment que c’est un métier, et c’est un métier auquel j’aspire. Un jour,  j’aimerais être écrivain. Un jour, c’est quelque chose que j’aimerais pouvoir faire à plein temps. 

Pourquoi vous continuez à écrire pour les plus jeunes ?
Alors, pour moi, les plus jeunes, c’est tellement plus intéressant que les adultes. Moi, comme je vous ai dit tout à l’heure, ça me permet d’être connecté avec une génération plus jeune, avec vos manières de penser, avec votre propre imagination, votre propre problématique.
Et je trouve que les échanges que j’ai ensuite avec les enfants et les plus jeunes, sont extrêmement enrichissants pour moi. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais je trouve que c’est tellement tellement plus intéressant de parler à un public qui n’a peut-être pas encore, comme je disais tout à l’heure, toutes ces responsabilités, toute cette anxiété, tout ce manque d’imagination.
Moi, ça me donne de l’énergie, en fait, de me nourrir de l’énergie des personnes plus jeunes, des personnes qui ont plus d’imagination que moi. Donc, je pense que ce sera dans la littérature jeunesse que je continuerai à écrire des livres.

Quels sont les sujets dont on doit absolument parler aux enfants dans les livres ? 
Ça, c’est un sujet qui est assez débattu. Il y a des auteurs qui disent que l’on doit faire un livre qui est éclatant, qui est cool, qui est marrant et qui fait peur. On ne va pas véhiculer de messages. C’est R.L. Stein qui écrit des livres d’horreur : Chair de poule. On n’a pas besoin d’avoir des messages. On doit pouvoir passer un bon moment. Les adultes ont des livres comme ça, les enfants, n’ont pas besoin de faire la morale ou quoi que ce soit. Donc ça, c’est une manière de penser.
Il y a d’autres auteurs qui disent“non”. Dès le début de leur enfance, il faut sensibiliser les jeunes à l’inclusion, à la diversité, au réchauffement climatique. Il faut donc avoir des livres qui vont vraiment leur expliquer ces problèmes-là dès un jeune âge. Parfois, même moi, j’ai remarqué que ces livres-là, ça peut être un peu ennuyeux. Ça peut être intéressant, mais… Enfin, quand je lis ou même quand je vois mes filles, ça peut être intéressant, mais ce n’est pas des choses dont elles se rappellent forcément.
Moi, ce que j’aime, c’est de trouver un mélange. C’est-à-dire comment faire une histoire décapante, drôle, qui vous donne envie de passer, et où il y a des messages qui sont sous-jacents, mais qui ne sont pas là pour forcément essayer de vous dire quelque chose.
Mais comme je disais tout à l’heure, comme c’est une écriture qui vous respecte, qui respecte les lecteurs, et comme c’est de la réalité, il y a des problématiques de conflits de famille. Il y a des problématiques sur le réchauffement climatique, sur la diversité et l’inclusion, mais ce ne sont pas les thèmes du livre. C’est-à-dire que ça fait partie de l’histoire, mais le thème du livre, c’ est celui dont je vous ai parlé. Alors évidemment, il y a un thème écologique là-dedans, mais je pense qu’on peut véhiculer et faire et transmettre des messages qui sont des messages de société important, sans que ce soit lourd, et sans que ce soit des trucs où on se dit « Oh, c’est lourd, il faut que je lise ce livre ». Au contraire. Et évidemment, chaque auteur a une vision différente sur ces choses-là. Moi, ce que j’espère avec ce livre et les livres suivants, c’est pouvoir encore une fois véhiculer des messages importants sans même qu’on s’en aperçoive, sans même que ce soit quelque chose de lourd, mais juste qu’on s’aperçoive que c’était une histoire sympa, cool, on a ri, on a peut-être pleuré, et on a appris des choses, même si on ne s’en est pas aperçu.

Est-ce qu’il y a un écrivain dans le livre qui vous a inspiré pour écrire votre livre ?
Oui, il y en a plusieurs. Quand j’ai écrit ce roman, j’avais tout un tas de livres à côté de moi que je lis, que j’ai relus, que j’ai utilisés aussi pour certaines tournures de phrases ou des expressions. Évidemment, beaucoup de livres de Roald Dahl, donc l’écrivain de Charlie et la chocolaterie. Vous connaissez peut-être David Walliams aussi. C’est un anglais qui s’est lui-même inspiré de Roald Dahl et qui a écrit des livres comme,  Mamie Gangster, ça vous dit peut-être quelque chose ? Il y a un auteur anglais que j’aime beaucoup et qui s’appelle Neil Gaiman, qui a écrit un livre qui s’appelle Coraline. Je ne sais pas si ça vous dit quelque chose.

Coraline, il y a aussi un film.
Oui, le film d’animation, je ne l’ai pas vu. Coraline, c’est une histoire qui fait peur. Elle était sur Netflix, mais ils l’ont enlevée et ils la remettent chaque Halloween. Donc, lui, il m’a pas mal inspiré et j’ai lu 2-3 de ses bouquins. Il y a aussi Margaret Atwood qui est une autrice canadienne pour adultes qui m’inspire beaucoup. Même mon père, qui est écrivain et qui est en train d’écrire un deuxième roman.Il a écrit un livre, il y a très longtemps. Donc, c’est aussi un petit peu dans la famille. 
Mais oui, il y a beaucoup d’auteurs et d’écrivains qui m’ont inspiré et qui continuent de m’inspirer. Beaucoup sont anglais mais, en français, j’ai lu Jean-Claude Mourlevat,qui m’a inspiré aussi. Ça vous dit peut-être quelque chose ? La rivière à l’envers.

Ah oui, je l’ai lu celui-là. La rivière où il y a une eau, composée d’une seule goutte d’eau qui permet que l’eau expire.
Voilà, exactement. Il y a un livre qui essaye de faire revivre son niveau. Exactement. Il y a deux tomes. Il a fait Tomek aussi. Mais c’est vrai que tu as raison, c’est surtout des anglophones qui m’ont inspiré. Il y en a d’autres, des français, mais je ne m’en souviens plus. J’essaye de puiser un petit peu chez eux également. Tu sais, chacun a son style, je n’essaye pas de recopier, mais j’essaye de… S’il y a quelque chose qui m’intéresse… Et après, tu crées ton propre style en te bâtissant, en se construisant sur ce que tu apprends des autres.

A suivre…

Interview, transcription de l’enregistrement audio et article par
Quentin Senic, Fares klabi, Ela Karsli, Oscar Ducros et Antoine Guelorget


Petite biographie de Nico Daswani :

Issu d’une famille franco-britanno-indienne, Nico Daswani a grandi à Marseille et a vécu à Paris, Londres, Los Angeles et New York. En collaboration avec de grands artistes engagés et des institutions culturelles renommées, il conçoit et produit depuis 20 ans films, concerts, tournées, festivals, expositions, résidences artistiques  et forums, pour promouvoir l’égalité, l’inclusion et le respect de la planète.
De 2012 à 2021, il a été directeur des arts et de la culture du Forum Économique Mondial. Il est lauréat de deux Emmy Awards comme producteur délégué des films de réalité virtuelle Collisions et Awavena. Markine et la Porte Secrète est son premier roman. Il vit à Genève avec son épouse Devika et ses deux filles, Eléa et Amaya.

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