Série « Rencontre métier » : Le métier d’archéologue, interview avec Musa Kadıoğlu

M. Musa Kadıoğlu est académicien à l’université d’Ankara et archéologue. Il est le directeur des fouilles du site antique de Téos. Je lui ai posé quelques questions sur son métier qui m’intéresse beaucoup.

Bonjour Monsieur, je suis très heureuse de vous rencontrer. Je voudrais vous poser quelques questions sur votre métier. Commençons ! Quand et pourquoi avez-vous décidé de devenir archéologue ? Qu’est-ce qui vous a attiré ? 
Honnêtement, le hasard a joué un rôle important dans mon choix. J’ai commencé mes études à l’université en 1989. A l’époque, il était beaucoup plus difficile d’avoir de l’information sur les études supérieures et l’université. Le système d’examen par les points était en place [en Turquie], et j’ai vu que mes points ne suffisaient que pour la voie de l’archéologie classique, donc je l’ai choisie. Mais à partir de la première année, j’ai commencé à participer aux fouilles et j’ai adoré. Le fait d’avoir grandi dans un milieu rural m’a aussi apporté beaucoup d’avantages pour travailler dans la terre et la nature. En tout cas, je peux dire que cela n’était pas mon premier choix, même si maintenant ça l’est.

Quelles étaient vos matières préférées à l’école ?
Au lycée, j’adorais la géographie. C’était en géographie et en chimie que j’avais les meilleures notes. Il y avait deux voies possibles au lycée : les sciences et la littérature. Comme j’ai choisi les sciences, je n’ai pas pu prendre des cours d’histoire de l’art, et donc mes premiers contacts avec l’archéologie ont eu lieu qu’à l’université.

Quels sont les aspects que vous aimez dans votre métier ? Et ceux que vous aimez moins ?
J’aime tous les aspects de mon métier. Je suis amoureux de mon métier. L’aspect des fouilles est important, l’aspect de l’enseignement aussi. En tant que professeur à l’université, mon travail est de former les étudiants ; en tant que chercheur, de faire des publications, mener des fouilles et contribuer à la science. Ces côtés forment un tout. J’aime former les étudiants, participer à la science, écrire des livres… Tous les archéologues ne sont pas obligés de participer aux fouilles. Pour ma part, j’enseigne à l’université, mais je participe également à des fouilles archéologiques depuis 1989- d’abord en tant qu’étudiant, puis assistant, puis professeur, directeur des fouilles. Quelles sont les parties difficiles ? Je ne pense pas qu’il y ait une partie difficile. Si vous parlez plusieurs langues, et que vous aimez ça, ce n’est pas difficile. En effet, je pense qu’aucun métier n’est difficile si vous aimez ce que vous faites. Notre mission en tant qu’académicien est de prendre part à l’évolution de la science, bien sûr.

Pouvez-vous me raconter une anecdote particulièrement rigolote ou passionnante que vous avez vécue durant les fouilles ?
Question difficile… Ce qui nous rend très heureux et nous excite, c’est quand, pendant les fouilles, nous faisons une découverte qui valide ce que nous avions deviné sur le sujet. Dans mon livre “Téos”, se trouve un chapitre sur le temple d’Auguste et de la déesse Roma [qui se situe au site antique de Téos]. L’attribution de ce temple restait inconnue depuis des siècles et comme le temple se situait dans l’agora, nous l’appelions le temple de l’agora, ou le petit temple… Donc, on lui avait mis des surnoms parce que nous n’avions aucune inscription sur la divinité ou le héros auquel le temple était attribué. Juste avant la publication du livre, j’avais écrit que ce temple datait du début de l’empire [romain], et le livre allait être tout justement imprimé, quand nous avons découvert les inscriptions du monument ! Un étudiant m’a appelé sur le chantier en me disant qu’ils venaient de trouver une inscription. Je suis allé voir ; c’était une très belle inscription en grec ancien, voulant dire “À la déesse Roma et Auguste”. Ainsi, nous avons découvert que ce temple était attribué à Auguste et la déesse Roma. Nous ne l’avions pas deviné à l’époque, cependant, aujourd’hui, je me dis que nous aurions pu, en observant la direction vers laquelle était construit le temple : les temples de la déesse Roma regardent le plus souvent vers le sud. C’était émouvant d’enfin découvrir l’information que l’on cherchait depuis des siècles, et de lire moi-même cette inscription en grec ancien, sans aucune aide. C’était une grande joie, aussi, de prouver que ce que j’avais écrit était bon. Je ne sais pas si j’aurais été aussi heureux si cela contredisait ce que j’avais écrit ! 

Quels sont les aspects faciles et difficiles de votre métier ?
Tout d’abord, c’est un métier difficile pour les personnes qui ne sont pas habituées à travailler dans la nature, qui ont peur des insectes, par exemple. Aussi pour les personnes qui ne veulent pas se séparer trop longtemps de leur famille, qui ne sont pas habituées à la vie collective… Nous avons une équipe de 20-25 personnes, un chalet et des dortoirs pour 2-5 personnes. Nous devons aussi travailler sous le soleil, ou dans la poussière, par exemple. En dehors du travail sur le chantier de fouilles, un archéologue passe du temps également dans son bureau, en travaillant sur des publications pour les améliorer, notamment. L’archéologue doit avoir une certaine intelligence analytique et doit savoir parler plusieurs langues, dont l’anglais et l’allemand, nécessairement. Il m’est impossible d’imaginer l’archéologie classique sans l’allemand car toutes les sources principales sont en allemand et tous les ans, les allemands font le plus de publications, comparé aux autres pays, et ont des instituts partout dans le monde (ce sont d’ailleurs les allemands qui ont utilisé pour la première fois le terme de l’archéologie classique). Après ces deux langues, peut venir par exemple le français, qui est plus essentiel dans l’archéologie préhistorique. Et il faut bien évidemment aussi connaître le grec ancien (pour le domaine de l’archéologie classique), et ensuite le latin. Tous ces facteurs sont essentiels si vous voulez devenir académicien/ne. Il faut bien sûr savoir travailler et aimer apprendre. Il ne faut pas oublier que lorsqu’on aime son travail, les difficultés ne sont pas du tout pesantes. Voici quelque chose que je fais faire à mes élèves : en début d’année, je leur demande de prendre une page blanche de leur agenda et d’écrire, d’un côté, ce qu’ils ne savent pas faire, de l’autre ce qu’ils savent faire ; puis d’écrire sur la page d’à côté, où ils veulent être dans leur vie dans quatre ans. Et ainsi, si au bout de quatre ans, leur liste a évolué positivement, cela veut dire qu’ils sont bons et qu’ils pourront en effet réussir la carrière qu’ils souhaitent.

Quels sont les conseils que vous donneriez aux jeunes qui veulent devenir archéologue ? Quelles sont les qualités nécessaires ?
C’est un métier que je conseille très fortement aux jeunes ! L’archéologie est la science qui étudie tout ce qui a été créé par l’être humain depuis sa naissance jusqu’à aujourd’hui. Est-ce que l’être humain peut tout percevoir ? Depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, nous pouvons voir que non. Et je pense que l’archéologie est un outil pour mieux percevoir notre monde. Il est vrai que ce n’est pas un métier qui rend riche : vous pouvez devenir professeur, académicien… Si vous voulez devenir riche, vous n’allez bien sûr pas choisir d’étudier l’archéologie. Mais si vous vous dites que vous voulez comprendre le monde, comprendre l’humanité, si vous voulez comprendre le passé, alors c’est différent. Nous oublions les événements de très courtes périodes de temps, mais ici, nous parlons carrément de toute l’histoire de l’humanité. Nous essayons de comprendre, toutes ces civilisations, ils ont laissé des traces, écrit beaucoup de choses, inventé les lois… Par exemple, il y a des écrits du Gymnasium à Téos, qui contiennent toutes les lois de l’école. “Ce sont les professeurs qui vont décider les matières que va choisir l’élève” ; les salles de classes dans lesquelles les matières seront enseignées… Tous ces détails étaient déjà décidés il y a 2 200 ans.  A part cela, il faut avoir des bases, certainement, comme les langues étrangères, qui facilitent beaucoup la tâche. Enfin, il faut savoir ce qu’on attend de la vie. L’archéologie est une profession agréable, vous avez vos pierres, vos blocs, vos céramiques… Et il me semble que c’est un peu comme être détective dans son propre monde. Nous constituons une histoire de tous les signes, les vestiges, l’histoire d’une cité. Nous appelons cela “parler avec les pierres”. La pierre est là, tu la regardes, elle te regarde. Tu la regardes, et si tu la vois comme une simple pierre, alors elle ne te parle pas. Mais si tu essayes de voir vraiment ce que cette pierre est, ce qu’elle était avant, alors, à ce moment-là, elle te parle.

Par ailleurs, si vous avez envie de découvrir davantage le site antique de Téos, vous pouvez bien sûr aller voir le livre “TEOS” de M. Kadıoğlu.

Article de Ece Seçen, 4E


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